Zones à risques en 2023, Chine, travail hybride : interview de Xavier Carn (International SOS)

Résurgence de la pandémie en Chine, risques accrus dans certaines régions du monde, fracture sociale croissante en Europe et aux Etats-Unis, augmentation des problèmes psychologiques chez les salariés : Xavier Carn, VP Sécurité EMEA pour International SOS, dresse l'état de la sécurité des voyages en 2023.
Xavier Carn
Xavier Carn, vice-président Sécurité EMEA d’International SOS

D’un côté, la Chine rouvre ses frontières aux voyageurs internationaux, de l’autre l’abandon de la politique zéro covid y entraîne un rebond spectaculaire de la pandémie. La situation sanitaire en Chine pourrait-elle avoir un nouvel impact sensible sur les voyages ?

Xavier Carn – La réouverture des frontières marque un tournant dans la politique zéro covid jusqu’alors mise en place par la Chine. D’un côté, l’abandon de ces restrictions très contraignantes devrait relancer les voyages internationaux de et vers l’Empire du milieu. De même que faciliter le travail de recrutement et de rotation des expatriés des entreprises internationales ayant une activité en Chine, une problématique très importante depuis l’été 2020. Mais, de l’autre, la résurgence très importante de l’épidémie risque de prolonger l’effet d’hystérèse sur la reprise timide des voyages. Premièrement, parce que certains pays ont décidé d’appliquer un contrôle sanitaire aux voyageurs en provenance de Chine – Italie, Espagne, France, Israël et Inde notamment -, mais sans grande concertation. Ensuite, parce que l’impact de l’épidémie en Chine est très important. Les infrastructures médicales sont sous tension et peuvent rendre tout projet de voyage ou de mission en Chine difficile si les conditions sanitaires ou de prise en charge médicale ne sont pas réunies. Dans ce cadre, la mission d’International SOS est de conseiller ses clients et de préparer l’ensemble des plans de prise en charge, quelle que soit la pathologie qui ne pourrait être traitée en raison d’hôpitaux saturés. Enfin, l’émergence de nouveaux variants reste un point de vigilance majeur, du fait d’une population faiblement immunisée et vaccinée. Ce qui pourrait alors remettre en cause cette reprise. Là encore, c’est notre rôle de monitorer ces évolutions au niveau mondial.

Ukraine, Sahel, criminalité en Amérique Latine : les principales zones à risques concernant la sécurité des voyageurs identifiées par International SOS pour 2023 ne surprendront pas. Dans quelles régions du monde se sont-ils accrus ?

Xavier Carn – En Europe, malgré l’impact considérable du conflit en Ukraine, et la montée de tensions liées au coût de la vie, l’environnement sécuritaire a peu évolué. En Afrique, l’évolution la plus notable concerne le Sahel, région dans laquelle la zone de danger extrême ne cesse de s’étendre. On peut également évoquer la situation au Mozambique qui continue à se dégrader sous la pression de groupes terroristes radicaux islamistes. En Amérique Latine, le pays le plus affecté par une augmentation de la criminalité est la Colombie, profondément marquée par l’impact socio-économique du Covid.

Y a-t-il cette année des événements moins identifiables nécessitant une certaine vigilance de la part des entreprises ? Le climat économique actuel renforce-t-il les risques, que ce soit en matière de criminalité, mais aussi de perturbations concernant les voyages d’affaires ?

Xavier Carn – Parmi les événements moins identifiables, notons la facture sociale croissante et ses conséquences, l’absence de résolutions de problèmes politiques ou économiques latents, ou encore la volatilité des prix de l’énergie ou des prix agricoles. Les pays les plus touchés par des lignes de fracture nationales – agitation sociale, accès de violence, hausse de la criminalité – sont situés en Europe de l’Ouest et aux États Unis. En parallèle, la montée de la violence liée à l’absence d’avancées sociales dans la résolution des problèmes politiques ou économiques s’observe surtout dans des pays situés en Asie du Sud, notamment au Pakistan, au Bangladesh et au Sri Lanka, ou encore en Irak, au Pérou et en Équateur. Quant à la volatilité des marchés énergétiques et agricoles, elle touche fortement des régions telles que l’Afrique subsaharienne, l’Égypte et le Liban.

Centre d’assistance d’International SOS à Londres.

Alors que le coût des voyages augmente, comment les entreprises doivent-elles arbitrer entre maîtrise des budgets et bien-être des voyageurs ?

Xavier Carn – Le voyage d’affaires reste essentiel pour la croissance et la réussite d’une entreprise. En revanche, la motivation d’un déplacement, la responsabilité financière de l’autoriser et l’acte de voyager en soi sont beaucoup plus réfléchis. Au regard du caractère mouvant des restrictions de voyage qui continuent de s’appliquer dans certaines parties du monde et face aux aléas actuels du transport aérien – que ce soit les coûts croissants liés aux carburants, le manque de personnel ou la lourdeur des contrôles -, l’impression qui se dégage est que l’on voyage pour de meilleures raisons. Et que, par conséquent, la préparation et la prise de mesures de prévention avant le déplacement sont ressenties comme plus nécessaires que jamais.

Votre carte des risques 2023 intègre pour la première fois les risques liés à la santé mentale. En quoi ce sujet a-t-il pris plus d’importance ?

Xavier Carn – En ajoutant à notre cartographie traditionnelle des risques « sûreté et santé » des données concernant la santé mentale des employés, nous suivons une tendance observée pendant la pandémie : à savoir l’augmentation de 25% des problèmes psychologiques et mentaux tels que l’anxiété et la dépression. Dans notre sondage, les réponses ont souligné l’impact que les crises globales actuelles ont sur la santé mentale et sur la productivité. On parle d’un trillion de dollars perdus à cause de problèmes mentaux affectant les employés ! La formation et le développement dans ce domaine ne suffisent pas, tout comme le soutien aux personnes affectées : le focus doit également se porter sur la prévention.

L’évolution des habitudes de travail, et notamment l’essor du télétravail, invite-t-elle les entreprises à s’intéresser plus encore au bien-être de leurs salariés ?

Xavier Carn – Cela fait maintenant de nombreux mois que le travail hybride a été mis en place, parfois à marche forcée, ce qui nous permet de prendre aujourd’hui un certain recul. On commence à appréhender de façon plus précise les situations managériales ainsi que les fonctions et les types de population pour qui le télétravail se prête particulièrement. Néanmoins, des questions subsistent sur le vécu et le ressenti de ces salariés ainsi que sur la gestion du travail hybride par les entreprises. Indubitablement, ces dernières ont à y gagner : on pense notamment à l’attractivité des talents et à leur rétention. Il reste néanmoins à anticiper les effets de bords à long terme et à trouver les réponses adéquates aux écueils que peuvent présenter le travail hybride. Cela passera notamment par la mise en place de programmes de santé, de surveillance des salariés soumis à des déplacements fréquents tels que le « comuting » entre la province et le siège d’entreprise, mais aussi de surveillance de situations managériales qui peuvent être sources de stress, ou encore de garantie de droit à la déconnexion. Il est aujourd’hui nécessaire de mettre en place des outils pour assurer ce suivi au long terme qui n’est pas assuré par les services de santé au travail.